Les Codes QR en Concert



Cette idée s’adresse aux musicien.ne.s, aux structures de production live qui les hébergent (les salles de concert quoi) ainsi que les publics qui les fréquentent

La proposition est la suivante et elle a différents degrés d’application selon les sensibilités :

Pourquoi ne pas afficher un gros code QR sur scène pendant toute la durée du concert et qui permettrait aux publics de participer financièrement à la valorisation de l’action artistique ?

En d’autres termes, pourquoi ne pas rendre plus systématique et plus efficace l’utilisation du « chapeau » lors des concerts ?

Alors y a sans doute des questionnements légitimes :

« On va quand même pas pourrir notre setup scénique avec ce truc dégueulasse »
« Ouais donc en gros c’est un paiement au chapeau quoi. Super »
« Mais attends voir. Tu proposes de remplacer le cachet par ça ? Vil traître ! »
« C’est pour qui la thune du coup ? Les artistes ou la salle ? »
« Et qui gère cette thune d’ailleurs ? Les artistes ou la salle ? Ça va sur quel compte bancaire ? »
« Et le public ? Il va pas mal le prendre qu’on lui demande encore de la thune alors qu’il a déjà payé son entrée et qu’il souhaite boire moult bières ? »

Bref on s’arrête là et on va tout de suite évacuer tout ça comme il faut :

On n’est pas obligé.e de le mettre en format A1 sur scène le code QR. Et y a plein de possibilités d’applications pour que ça corresponde à vos valeurs personnelles
On y revient tout de suite
Oui c’est un chapeau 2.0. Sauf que plus accessible, plus direct, plus facile quoi. Et d’ailleurs plus personne se trimballe sur soi de l’argent liquide de nos jours…
Evidemment que ça doit s’ajouter aux rentrées d’argent déjà existantes
La thune c’est pour les deux. Les artistes et la salle. Le partage du butin se fait en fonction d’un pourcentage déterminé à l’avance. Là aussi on va y revenir
Qui gère la thune et comment ? On le détermine à l’avance, au moment du contrat (formel ou informel)
Le public va légitimement mal le prendre si on ne l’informe pas du pourquoi de la démarche et si on ne l’implique pas c’est sûr

Alors expliquons pourquoi

Eh bien car le constat est limpide : l’écrasante majorité des artistes et des structures de production live n’engrangent pas suffisamment d’argent pour se rémunérer correctement. Les artistes ne parviennent pas à se verser un salaire à la hauteur du travail que représente l’élaboration d’un concert et les structures de production qui les hébergent ne parviennent pas à rémunérer correctement leurs employé.e.s. En témoignent le recours quasi obligatoire à des travailleu.r.se.s bénévoles pour faire tourner la barraque

Il faut donc plus de thunes

Mais à qui demander ? Au public bien évidemment
Pourquoi au public ? Pourquoi on laisse pas se démerder les salles de concert et les artistes ?

Un premier point : hormis les artistes, les salles de concerts sont les structures qui participent le plus à la production artistique. Elles paient un loyer, de l’électricité, des employé.e.s, du matériel, des autorisations, fournissent des services comme le bar, la billetterie, la promotion, etc. Tout cela pour permettre aux artistes de se produire sur scène. Scène sans laquelle ielles ne pourraient pas communiquer avec les publics

Alors je dis pas que c’est le cas de toutes les salles à 100% hein. Evidemment non. Mais enfin même si la salle participe ne serait-ce qu’au lieu et à l’électricité, elle participe déjà à la production artistique. Donc voilà. On va pas demander aux salles de payer davantage
La structure de production live paie la prestation scénique. C’est tout. Et c’est bien normal car elle participe déjà grandement au processus de production
( On omet sciemment pour l’instant de mentionner que certaines salles touchent des fonds publics et que ça engendre tout un tas d’autres problématiques qui ajoutent à la complexité du problème, donc on en parlera en détails une autre fois )

Et donc les artistes on va pas leur demander de payer pour jouer ou bien ? Ça va bien aller maintenant. 

Ben figurez-vous que ça arrive
Quand le Montreux Jazz Festival nous fait bien comprendre qu’on a déjà bien de la chance d’être programmé.e chez eux avec toute la visibilité que ça nous offre par exemple. C’est une façon de faire payer aux artistes leur place sur scène et de faire des économies. De l’exploitation bête e méchante quoi. En plus franchement on y joue pour un public bien lisse et fortement aviné sur une vague scène du off entre quinze stands de cochonneries pseudo artisanales dégueulasses et deux stands de massage en plein air bon marché. Bon je sais ça a un peu changé depuis les années 2010-2020. Mais enfin. C’est arrivé. Et ça arrive encore. Au Montreux Jazz ou ailleurs

Donc bref, reste le public. Et le public il ne paie plus suffisamment pour la musique. C’est un fait. Cependant c’est pas de sa faute. C’est la faute à une industrie du disque qui s’est complètement effondrée avec l’avènement du Peer to Peer, donc plus personne n’achète de disque. Et à présent c’est de la faute aux plateformes de streaming dominantes qui se partagent la grande majorité du fric généré par les écoutes avec les trois majors restantes que sont Universal, Warner et Sony
Un tiers de centime par dollar engrangé sur la plateforme pour l’artiste. C’est tout ce que vous aurez. Inutile de dire que ça paie pas le loyer

Donc voilà. Si vous souhaitez demander de l’argent supplémentaire au public, c’est déjà de tout cela dont il faut l’informer. Et sans le culpabiliser. Car encore une fois c’est pas de sa faute si des multinationales ont les dents qui raient le parquet et des pouvoirs politiques qui ne protègent pas suffisamment leurs artistes locaux de cette concurrence forcée et déloyale

Cependant ça coûte rien de tenter de les mettre à contribution. Donc on informe de la situation, puis on leur dit qu’ielles peuvent participer à la production artistique locale financièrement. Et que s’ielles le font pas ça fait pas d’ielles des traîtres ou des méchant.e.s. On fait ce qu’on peut et on avance touXtes ensembles : artistes, salles et public. Car ces trois entités là sont indissociables. On enlève l’une des trois, plus rien n’a de sens. Elles ont donc un intérêt commun qu’il s’agit de mettre en avant

Et ça permet de soulever un deuxième point :

C’est que si les apports des artistes et des structures de production sont assez évidents et identifiables, les apports des publics ne sont pas suffisamment thématisés et encore moins visibilisés
Ces derniers sont le plus souvent considérés dans leur dimension de consommateur.rice.s de contenu culturel et non comme participant.e.s indispensables de l’action artistique

Sans les publics, les œuvres d’art n’existeraient tout simplement pas puisque personne pour les faire exister

Et les fonds publics alloués aux structures de production et aux artistes ça vient d’où ?
Ben c’est écrit dessus. Des publics

Ces publics sont donc à considérer comme étant producteur.rice.s à part entière de l’action artistique
Donc quand on leur demande de l’argent, c’est pas pour faire l’aumône auprès de consommateur.rice.s
C’est pour produire ensemble l’action artistique qui nous unit

C’est fondamental d’avoir ça en tête. Que l’on soit artiste, travailleur.se d’une structure ou public, on co-produit l’action artistique

Sauf qu’il s’agirait de participer à part égale. Ce qui n’est pas le cas actuellement pour ce qui est du public
Que ce soit au travers des fonds publics alloués aux budgets culturels, de la redistribution proportionnée de ces fonds aux différents milieux artistiques ou de l’apport financier direct des publics, désolé mais ça suffit pas

Et ça nous amène au grand absent de ces lignes :

Le pouvoir publique et politique

Car c’est ce dernier qui a la responsabilité la plus grande de cette situation
Le pouvoir politique dans une société dite démocratique, par définition, c’est le responsable en chef de l’organisation, de la prise de décisions et de la représentation de l’intérêt commun
C’est-à-dire qu’on lui octroie un pouvoir exceptionnel qu’il est sensé exercer au service des populations
C’est notre employé le pouvoir politique. Il est payé avec notre thune et il doit rendre des comptes de ses actions

Mais bref, ce pouvoir il mérite qu’on y revienne en détails une autre fois, il perd rien pour attendre…

Alors maintenant on va parler opérationnel

Concrètement, il y a trois enjeux principaux :

LES MODALITES CONTRACTUELLES
LE DISPOSITIF CODE QR
L'ENGAGEMENT DES PUBLICS

Ces trois points sont à clarifier impérativement en amont de l’événement entre les trois parties que sont les artistes, les structures de production live et les publics

Pour les artistes et les structures ça se fait par le biais du contrat
Pour les publics ça se fait par le biais de la promotion de l’événement et par la communication lors du concert

Donc sans être parfaitement exhaustif sans doute, on va explorer ces enjeux plus en détails :


LES MODALITES CONTRACTUELLES


D’abord il s’agit de déterminer le pourcentage de répartition des recettes code QR entre l’artiste et la salle

Le plus simple serait de faire 50/50 comme ça pas de jaloux,se. Après on peut aussi penser à une répartition en fonction de l’apport de production des un.e.s et des autres. Par exemple est-ce que ce sont les artistes qui fournissent le matériel ? Est-ce que la salle doit gérer une billetterie, un bar, etc ? Est-ce que l’effort promotionnel a été effectué par la salle ? Par les artistes ? Par les deux ? Qui prend en charge le travail administratif en vue de déclarer les revenus ?

Voilà. Ce sont justes deux trois exemples qui rendent compte de la complexité de la chose. A chacun.e d’évaluer ce qui fait le plus de sens selon la situation. Le plus important étant de décider de la répartition en amont et d’évaluer dans quelle mesure on peut transformer ces revenus en salaires par exemple

Car oui ça aussi c’est un enjeu. Il faut que les artistes puissent déclarer leurs revenus sinon ielles n’ont pas de protection sociale

Ensuite, il faut se mettre d’accord sur le compte bancaire où atterrit l’argent et par quel moyen. TWINT ? Bulletin de versement ? Autre ?

De plus, il est impératif d’anticiper les problèmes potentiels
Car comment on fait si quelqu’un.e verse de l’argent sur ce compte le jour d’après ou même la semaine d’après ? Et comment on est sûr.e que cela concerne bien tel concert et pas autre chose ?

Deux solutions : on temporalise la validité du code QR pour la durée de la soirée et/ou on fournit au public un code écrit qui doit accompagner le paiement et qui permette d’identifier l’objet de celui-ci

Autre problème :
Est-ce que la charge de travail administratif dépasse le montant des revenus du code QR ?
Parce que si c’est le cas ben ça vaut pas la peine hein

Mais pour le savoir on est obligé.e de tester le dispositif


LE DISPOSITIF CODE QR


On commence par évaluer quels compromis et/ou quelles adaptations on est prêt.e à consentir par rapport à une prestation de concert sans code QR. Cela s’étend sur un spectre qui va de « Aucun compromis » à « Je ferais tout pour de l’argent »

Ensuite, on identifie les enjeux pratiques :La présentation du dispositif au public. Qui s’en charge ? Comment ?La visibilité et les modalités d’usage du code QR. On le met où ? Sur quel support ?La présentation peut se faire par oral ou par écrit. Par un.e représentent.e de la salle ou par l’artiste ou même par une personne du public très motivée pourquoi pas. Dans tous les cas, ça paraît logique de le faire au début du concert et pas à la fin

Que ce soit par oral ou par écrit d’ailleurs, si vous avez pas trop envie de vous faire chier, vous pouvez reprendre tout ou partie de ce texte tel quel, pourvu qu’il vous convienne évidemment. Ou alors vous pouvez le charcuter dans tous les sens. Faire le vôtre à vous rien qu’à vous. Bref c’est bien comme vous voulez

Le plus simple a priori ce serait d’avoir un texte tout prêt à l’emploi sur lequel on peut se mettre d’accord en amont entre salle et artiste et qui est réutilisable à chaque prestation

On peut déclamer le texte depuis la scène ou distribuer le texte au public sur un support écrit. Mais bon. La solution par oral parait quand même vachement plus simple et plus adaptable à toute situation. Après, on peut aussi imaginer une affiche dans un endroit bien visible et accessible de la salle que tout.te un.e chacun.e peut aller consulter librement

Pour ce qui est du code QR lui-même c’est un peu la même chose en fait. On peut foutre une grosse affiche format A1 sur scène accessible depuis n’importe quel téléphone à n’importe quel endroit de la salle et à n’importe quel moment du concert. Un peu excessif peut-être mais sans doute efficace

Cependant on pourrait même aller plus loin hein. Genre une performance artistique qui formule directement au public le montant idéal auquel les artistes et les travailleur.se.s de la salle devraient être rémunéré.e.s et qui visibilise au moyen d’un compteur la thune qui arrive de la part du public à mesure que la performance se déroule

Voilà. Ça c’est pour les plus téméraires on va dire

Maintenant, si vous êtes plutôt du bord « Aucun compromis », ben vous pouvez très bien circonscrire le code QR dans un endroit bien spécifique de la salle sur une affiche (avec l’explication de la démarche et tout et tout), dire aux gens que ce truc existe, puis les laisser libres d’aller le consulter ou non

Et entre ces deux possibilités y a sans doute tout un tas de variantes à explorer
Y compris des variantes avec des visées autres que financières

Enfin, et ce serait sans doute la meilleure chose à faire, ce serait sûrement plus efficace si la démarche d’utilisation des codes QR s’inscrivait dans une campagne d’information et de mise à contribution beaucoup plus globale. On pourrait labeliser la chose en quelque sorte. De cette façon les objectifs de la démarche seraient plus facilement identifiables


L'ENGAGEMENT DES PUBLICS


Alors évidemment il s’agit pas de manipuler qui que ce soit
Faut être bien clair.e là-dessus

Si on demande une contribution financière supplémentaire aux publics ben faut quand même pouvoir le justifier et ce avec la manière

Car encore une fois, le public c’est pas de sa faute si vous galérez. C’est la faute à un cadre fait de mise en concurrence généralisée et non-régulée des individus dans un environnement international majoritairement capitaliste et individualiste
Donc faut quand même avoir ça dans un coin de la tête

Maintenant si la critique politique ça vous parle pas trop c’est pas bien grave

Car ce qui peut être mis en avant c’est le simple fait que le public est de fait partie prenante de l’action artistique et que si ce public apprécie votre musique, votre salle et les personnes qui y travaillent, ielles peuvent participer selon leurs capacités

Et le format « Code QR/Donner argent » n’est qu’un exemple de mode participatif parmi d’autres

Mais surtout, si ces publics ne donnent pas de thunes, c’est pas parce qu’ielles sont radin.e.s
Il y a des chances non-négligeables que ce soit parce qu’ielles aussi sont précaires, qu’ielles aussi subissent la mise en concurrence forcée généralisée, qu’ielles aussi se trouvent dans des situations extrêmes de dépendance

Il n’y a pas que les artistes ou les structures de production qui galèrent dans ce bas monde. Il y a aussi une grande partie de la société : les travailleur.se.s sans papiers, les handicapé.e.s, les roms, les femmes, les homosexuel.le.s, les transgenres, les personnes racisées, les musulman.e.s, les personnes âgées, etc. La liste de toutes les personnes qui sont exclues, discriminées, violentées, assassinées et j’en passe est spectaculairement longue

Tout cela pour dire qu’entre précaires, avec chacun.e ses spécificités, ses capacités et ses besoins, il y a quand même une communauté d’intérêts qui ne demande qu’à se mettre en action

Et c’est dans cette perspective qu’on peut ( qu’on doit ? ) s’adresser aux publics

Oualà !

Vous trouverez un résumé de cette proposition dans L’Usine des Klaxons très prochainement et vous pourrez y déposer un commentaire si vous le souhaitez pour faire avancer le schmilblick

Ou alors vous pouvez directement expérimenter la chose sur le terrain avec vos projets perso puis en faire un retour d’expérience qui sera ensuite publié dans Le Cirque des Klaxons

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