L'Art Disciplinaire
sourd à la colère sociale

En Suisse, le cadre d’action artistique musicale qui est le plus valorisé institutionnellement est un cadre essentiellement disciplinaire où la gesticulation et le bruit autre que celui de la musique ne sont pas tolérés.
Prenons par exemple un môme qui chougne un peu fort au beau milieu d’un concerto classique, il y a tout à parier que l’enfant sera vite sorti de la salle, accompagné le plus souvent par sa mère, qui craint que ça dérange le public.
Ce qui se planque derrière cet exemple, qui peut paraître anodin au premier abord, c’est un phénomène d’exclusion causé par un cadre structurel trop restrictif.
En écartant la possibilité d’avoir des gosses qui gueulent et gesticulent pendant un concert, le cadre les exclue de fait. Et il exclue aussi leur mère car ce sont, encore aujourd’hui, les mères qui sont assignées le plus souvent à ce type de tâche par le pouvoir patriarcal.
Mais creusons encore un peu.
Pourquoi ces restrictions ?
A l’endroit du public d’abord qui doit :
Se rendre dans un lieu dédié (un théâtre, une salle de concert, etc.).
S’installer dans une zone bien précise de l’espace.
S’y asseoir et n’en plus bouger.
Se taire, ne pas tousser, ne rien faire d’autre qu’écouter.
Vis-à-vis des artistes ensuite qui doivent :
Revêtir un uniforme.
S’installer devant leur pupitre et n’en plus bouger.
Ne commettre aucune erreur d’exécution.
Être parfaitement coordonnés
Se taire, là aussi.
Soyons clairs : le problème ce n’est pas la pratique de la musique classique, qui a sa place, ni même du cadre restrictif qui peut avoir du sens selon la situation. Non. Le problème c’est sa survalorisation institutionnelle au détriment des autres pratiques. Notamment les pratiques qui expriment de la colère sociale.
C’est ce cadre qui obtient le plus de subventions via les institutions. C’est aussi lui dont on vantera volontiers le raffinement et la sophistication. C’est aussi lui qui va consacrer ou non le pseudo professionnalisme des artistes, etc.
En d’autres mots, c’est un cadre qui est fait par et pour les classes sociales dominantes.
C’est pour cela que vous n’y verrez essentiellement que des personnes âgées, blanches et masculines à fort capital social et culturel. On valorise cette pratique pour valoriser le groupe social archétypal qui détient le pouvoir.
Ces classes dominantes ne souhaitent pas voir les publics gesticuler et faire du bruit, c’est-à-dire exprimer leur colère, car elles ne souhaitent pas que les rapports de pouvoir changent.
Vous ne verrez pas d’enfants dans ces lieux car ils gueulent et gesticulent. Vous ne verrez pas de classes sociales discriminées car elles sont légitimement vénères et qu’elles ne se retrouvent pas dans cette pratique restrictive de l’action artistique.
C’est pour cela aussi que les musiques hip-hop, punk et métal, entre autres, ainsi que les lieux qui les produisent sont trop peu soutenus en termes de subventions.
Et ça c’est anti démocratique de fait. Car ces personnes cotisent au trésor public qui va alimenter les subventions allouées à l’action artistique disciplinaire. Donc on utilise de l’argent généré par leur travail pour valoriser un cadre qui ne leur donne aucune place. C’est un système d’exploitation.
On vous a déjà dit que l’art c’était politique ?