La Mécanique de l'Embouteillage
Politiser la créativité

Il y a quelques jours j’ai démarré un April Batching Challenge où je m’impose de produire un machin chaque jour du mois d’avril et de le partager sur mes réseaux.
Je fais ça parce que je bloque dès qu’il s’agit de partager mon boulot avec les autres. Je bosse sur des trucs (de la musique, des dispositifs pédagogiques, des projets socioculturels, des idées farfelues en tous genres) mais j’ai tellement besoin que ce soit sur-préparé que je finis par me décourager et donc je parviens pas à en faire grand-chose.
Dans mon cas ça s’explique par des traumas qui induisent un syndrome de stress post traumatique qui me rend hyper vigilant dès que je dois m’exprimer dans le champ social. Mon corps a imprimé profondément la peur de ce qui pourrait advenir si je m’exposais d’une façon ou d’une autre et, sans me demander mon avis, il opte pour des réponses comportementales d’évitement du danger. Ça fait que si je veux me sentir plus en sécurité soit je dois éviter la situation à risque et donc ne rien faire soit je dois anticiper et préparer la situation avec une telle extensivité que le montant de travail à fournir devient inatteignable et donc là aussi je fais rien.
Mais pour sortir de l’analyse psychologisante qui ne rend compte que de ce qui se passe au bout de la chaîne des événements, il faut politiser la question du blocage à l’aide d’outils sociologiques pour mieux en sortir.
Bloquer, ne pas pouvoir faire, c’est manquer de pouvoir d’action. Ce qui conditionne ce pouvoir c’est le cadre structurel. C’est-à-dire qu’on n’a pas touXtes la même marge de manœuvre pour avancer dans la vie selon où l’on se situe dans les rapports sociaux de pouvoir.
Pour récupérer son pouvoir d’action et sortir du blocage on doit s’émanciper du cadre bloquant. C’est ce qu’on appelle la créativité. Et le fait que les possibilités d’émancipation des individus soient déterminées par leur place dans la société montre bien que la créativité est politique.
Voyons plutôt.
La créativité est un capital social qui permet de disposer d’un pouvoir d’action qui s’émancipe du cadre structurel. Et cela n’a strictement rien à voir avec les capacités individuelles.
Imaginez que vous vous trouviez au milieu d’un embouteillage avec votre bagnole. Vous souhaitez avancer pour aller quelque part mais les autres véhicules vous bloquent l’accès à votre destination et vous ne pouvez strictement rien y faire.
C’est-à-dire que le blocage ne provient pas fondamentalement de vous-même, il provient a priori des autres. Mais les autres n’en sont pas responsables pour autant et de leur point de vue ce sont ielles qui se trouvent dans cette situation. Dans la mécanique de l’embouteillage personne n’est responsable individuellement mais tout le monde l’est collectivement. C’est le cadre structurel de la déambulation qui fait que ça bloque. C’est-à-dire le nombre de bagnoles, les dimensions de la route, les variations de vitesse de déplacement des véhicules, etc.
A partir de là il y a deux solutions pour sortir du blocage :
Rester dans le cadre et attendre patiemment que ça circule de façon plus fluide.
Sortir du cadre, c’est-à-dire sortir de sa bagnole.
Car l’élément le plus contraignant dans cette situation c’est qu’on semble devoir utiliser exclusivement sa voiture pour se déplacer. C’est ce dernier qui constitue le cadre structurel le plus déterminant. Or, pour pouvoir quitter sa bagnole il faut des alternatives : des pistes cyclables, des transports publiques et des trottoirs. Soit des infrastructures et des politiques publiques, bref des décisions collectives. Ça nous permet d’explorer nos possibilités d’action pour arrêter d’être coincé.es dans les embouteillages.
Le capital créatif c’est ça. Il se mesure à notre marge de manœuvre vis-à-vis de notre pouvoir à sortir du cadre. Et cette marge de manœuvre, elle est collective et politique.